Monday, March 28, 2011

There is a crack in everything, that's how the light gets is

Comme Xavier a résumé avec sa verve proverbiale les grands moments de notre périple, j'ajoute ici le texte d'une présentation faite hier à Montréal pour un groupe de méditation, à laquelle je réfléchissais durant notre voyage. La deuxième partie parle directement de notre voyage. Amitiés à chacun, sans oublier le troisième frère.
Jacques

« Il y a une faille en toute chose, c’est ainsi que pénètre la lumière »


Cette phrase, on peut en faire de nombreuses applications, car c’est une vérité d’ordre spirituel, bien sûr, qui nous vient probablement de la Cabbale. Bien souvent, c’est quand un évènement catastrophique, une brisure, se produit dans notre vie, que la lumière apparaît : un décès, un échec, une rupture, un diagnostic médical, ou simplement un changement dans la routine de nos vies, comme un voyage dans un pays complètement différent du nôtre. Autant de chocs qui nous poussent à nous remettre en question, à réévaluer notre vie à la lumière de ce qui compte le plus, après tout.
Et nous devinons déjà que cette vérité spirituelle a quelque chose à voir avec ce qui préoccupe notre groupe, l’œcuménisme, la rencontre des églises divisées, parcourues de failles et de fissures.
Mais il y a plus. Comme c’est souvent le cas avec les très grands artistes, Leonard Cohen a exprimé au moyen de cette phrase une vérité moins évidente que celle que nous lui reconnaissons déjà. C’est une vision très forte de l’histoire, qui rejoint celle de bien d’autres visionnaires et aussi analystes et  théoriciens de notre histoire. Je pense en particulier à la théorie de René Girard sur la violence et le sacré telle qu’il l’a développée dans de nombreux ouvrages, en particulier l’un d’entre eux dont le titre n’est pas sans évoquer lui aussi une irruption de la lumière: Des Choses cachées depuis la fondation du monde[ii]. Je vous propose donc de commencer par le contexte dans lequel Leonard Cohen utilise cet adage spirituel. C’est la chanson  Anthem :          
Hymne
Les oiseaux chantent dès l’aube
Ils recommencent chaque jour
Je les ai entendus.
Ils disent: ne t’attache pas à ce qui est arrivé
Ou  à ce qui est encore à venir.
Ah! On n’a pas fini de faire des guerres
La sainte colombe, elle sera  encore emprisonnée
Achetée et vendue, et encore achetée,
La colombe n’est jamais libre.

(refrain) Que sonnent les cloches qui peuvent encore sonner
Oubliez vos parfaites offrandes
Il y a une faille en toute chose
C’est comme ça que la lumière pénètre.

Nous avons demandé des signes,
Et les signes furent envoyés:
Les naissances avortées
Les mariages gâchés
Et, oui, toutes les veuves des gouvernements,
Des signes que tous peuvent voir.
Je n’en peux plus de marcher parmi cette foule sans lois
Pendant que les tueurs disent leurs prières dans les hauts-lieux.
Ils amassent un terrible orage
Et bientôt ils vont avoir de mes nouvelles.

(refrain) Que sonnent les cloches qui peuvent encore sonner
Oubliez vos parfaites  offrandes
Il y a une faille en toute chose
C’est comme ca que la lumière pénètre.

Vous pouvez ajouter les parties,
Vous n’obtiendrez pas la totalité.
Vous pouvez toujours marcher au pas,
Il n’y a pas de tambour.
Chaque cœur, chaque cœur
Viendra, et il viendra  avec amour,
Mais comme un réfugié.

(refrain) Que sonnent les cloches qui peuvent encore sonner
Oubliez vos parfaites  offrandes
Il y a une faille en toute chose   toute chose
C’est comme ça que la lumière pénètre.

Que sonnent les cloches, invitation à quel(s) rassemblement(s)?
Je ne prétends pas faire une analyse exhaustive d’Anthem,  je voudrais relever seulement quelques éléments.  Contrairement  à d’autres compositions de Cohen, Anthem  est  relativement clair. Il s’agit de la violence humaine sous sa forme la plus extrême, la guerre. Mais le refrain parle de quelque chose d’autre, qui est associé à la violence humaine.  Que sonnent les clochent, c’est l’invitation à se réunir. De quelle sorte d’unité  s’agit-il? C’est là tout l’intérêt de cette chanson : Anthem parle de deux types de rassemblements : le premier, c’est celui de la violence, dont les guerres sont une forme tardive dans l’histoire de l’humanité.  La violence, elle, est présente dès les origines de nos cultures. Pour René Girard, la violence est fondatrice des sociétés humaines. Cela se passe  selon un mécanisme, celui de la victime émissaire,  où, en se propageant de plus en plus, elle finit dans un "tous contre un" qui apporte la paix aux premières communautés humaines. De la répétition de ce "tous contre un", lorsque la violence réapparaît, sort peu à peu le sacrifice, toujours humain au départ. Les divinités archaïques ne sont rien d’autres que des victimes, en quelque sorte transfigurées par la violence qui s’est abattue sur elles.
Le sacrifice archaïque, c’est l’offrande parfaite, car elle unit, ou plutôt elle rassemblait parfaitement  les hommes dans l’unanimité violente contre une victime. Certes, les choses ont bien changé depuis le temps des sacrifices humains sur les hauts-lieux de la Mésopotamie, de la Grèce, du Mont Carmel, ou du Mexique. Cependant, la violence revient toujours nous visiter, et quelquefois avec des parfums de sacré. Même notre religion, en dépit de la non-violence des Évangiles, s’y est associée dans le passé. Les cloches ont souvent sonné pour partir en guerre et il y a peu de temps encore, on bénissait les canons.
Donc, le refrain commence par une allusion à l’unanimité générale et religieuse, sacrée, des ordres sociaux du passé, une unanimité sacrificielle, une harmonie sans faille. Mais le refrain ne la célèbre pas, cette harmonie. Au contraire, le refrain continue en disant que maintenant il faut se débarrasser de nos offrandes parfaites, c’est à dire, se débarrasser du sacrifice, du principe de rassemblement violent, de l’exclusion de l’un par la communauté. Il faut gratter à la surface de l’harmonie sociale, ce que l’on fait dès l’instant que l’on prête attention à la voix des victimes. Et cela ne s’applique pas seulement aux victimes d’un passé lointain, mais à toutes les victimes de toutes les sociétés. Anthem en énumère quelques unes, des enfants avortés aux victimes des guerres, dont les veuves sont les mémoriaux. Et qui les a tués? Les tueurs qui disent leurs prières dans les hauts-lieux : nos modernes sacrificateurs, grand-prêtres des idéologies totalitaires du siècle dernier, autant que  des fanatismes religieux ou de la nation de quelque bord qu'ils soient, ou encore ces experts en systèmes économiques qui justifient le gouffre de plus en plus immenses entre pauvres et riches. Gandhi a dit un jour : La pire forme de violence, aujourd’hui, c’est la pauvreté. A ces cas massifs d’exclusion violente, il faut ajouter nos micro-exclusions quotidiennes, celle qui se passent dans la conversation sur les absents qui ont toujours tort,  objets de jugements, de mépris ou simplement de moqueries, à la chaleur desquelles il est si tentant de se réchauffer, dans une unanimité sans discorde…
Regarder les victimes, quelles qu’elles soient, c’est regarder la vérité en face, c’est donc regarder la lumière. Mais comme c’est en même temps refuser l’harmonie foncée sur ces victimes, c’est créer une faille dans cette harmonie : There is a crack in everything, that’s how the light gets in.
Cohen est très conscient du fait que cette attention portée aux victimes introduit une faille de plus en plus grande dans l’ordre, l’harmonie sociale basé sur la violence : Vous pouvez ajouter les parties, vous n’obtiendrez pas la totalité. Le propre de la violence sacrée, sacrificielle, c’est de changer les parties qui s’affrontent en un tout parfaitement unifié, une harmonie  totale, sans fausse note. Mais nous pensons trop à nos victime, ainsi la totalité sociale reste morcelée, elle se morcelle de plus en plus. Plus moyen de faire marcher tout le monde au pas contre un commun ennemi : vous pouvez marcher au pas, il n’y a pas de tambour.
Or,  si le vieux principe de rassemblement dans la violence et par la violence est détraqué, que nous reste-t-il? C’est là que Cohen est le plus profond. Chaque cœur, chaque cœur viendra, et il viendra avec amour, mais comme un réfugié : au lieu du triomphe de tous contre un adversaire commun, il y a une autre unanimité, une convergence, plutôt, où chacun, au lieu de se fondre dans la totalité du collectif, est et reste, ou mieux encore, devient un individu unique : Chaque cœur, chaque cœur viendra, et il viendra avec amour. Quel est l’objet de cet amour?  Le dernier vers l’indique : comme un réfugié. Aujourd’hui, le réfugié est la figure par excellence de la victime des ordres sociaux et nationaux, et aussi de la mondialisation, du Rom au Japonais. Être comme un réfugié, c’est s’identifier à lui, l’amour ultime. On pense à Simone Weil, à Maximilien Kolbe, et à Marie Skobsova. Le terme de réfugié est aussi loin de tout triomphalisme. On pense plutôt à des réseaux qui émergent sur fond de désagrégation générale, une sorte nouvelle de résistants. Pour eux, le son des cloches n’a plus l’ambigüité du passé. La plupart, d’ailleurs, se sont tues. Que sonnent les cloches qui peuvent encore sonner, dit le refrain. Elles sonnent moins pour rassembler que pour être de simples  rappels. Les premiers mots d’Anthem  disent : ne t’attache pas à ce qui est arrivé ou  à ce qui est encore à venir, aux cycles de l’histoire et de ses violences. Ne te laisses pas emballer par les musiques, les marches du temps sur ton ipod. Le sens nouveau du carillon, serait peut-être, entre autres, celui de la présence, ici est maintenant, à celui ou celle qui est là, comme un réfugié.
La faille et la lumière, une expérience personnelle : Il était une fois deux frères, qui étaient trois
Je reviens du Maroc. Le but du voyage était de reconnecter avec mon frère, après trente ans de relations très espacées.  Nous voulions faire quelque chose qui nous rapproche à nouveau. Lorsque nous nous sommes retrouvés sur les pistes du Sahara, nous avons replongé dans le monde des souvenirs d’enfance comme dans un âge d’or. Nous avons beaucoup ri. Deux autres compagnons de voyage, amis de longue date de mon frère, étaient avec nous, et nous avons formé un groupe formidable, secoués de nombreux fous-rires.  Je n’étais pas loin de les considérer comme des demi-frères, tellement nous étions proches sur nombre de plans.  Un petit microcosme idéal de camaraderie se promenant au soleil du Maroc. Nous avons chanté les chansons de notre adolescence sur la guitare de mon frère. Leonard Cohen, entre autres, bien sûr, et son interprète francophone, Graeme Allwright. Il y avait en particulier une chanson, qui, pour moi du moins,  a symbolisé cette époque de notre adolescence, Johnny[iii]. Johnny c’est une ballade pour un soldat américain en train de mourir au Vietnam. En la chantant, à l’époque, nous nous sentions du bon côté, celui de Johnny, nous-mêmes innocentes victimes pris dans une histoire qui pourrait bien finir en apocalypse nucléaire. C’était les années soixante-dix, dans la lancée des sixties…Mais au Maroc, cette chanson m’est revenue comme un boomerang.  En redécouvrant cette chanson, j’ai revu cette époque de mon adolescence pour ce qu’elle fut en réalité. Notre âge d’or, notre harmonie d’adolescents en bandes, fut d’une certaine façon, une harmonie sacrificielle. Ce qui nous unissait, c’était notre unanimité, avec une bonne partie de notre génération, contre la guerre, qui était en même temps unité contre les tabous, les traditions, les capitalistes, les  gouvernements, les adultes, les profs, les curés, les parents, etc... C’était une unité contre les autres. Dans ma bonne conscience d’alors, finalement,  je condamnais quasiment le monde entier. Si j’ai eu un tel choc en réentendant Johnny, c’est parce que quelque chose s’est passé il y a deux ans. J’ai connu un Johnny. C’était le fils d’un voisin. Il est mort en Irak à 24 ans. Quand j’ai su qu’il s’était enrôlé, je n’ai rien su lui dire. Rien même que la chanson de Graeme Allwright aurait pu me souffler. La chanson Johnny, fut d’abord pour moi un hymne de rassemblement contre. Mais là-bas, au Maroc, elle est devenue Hymne au sens de l’Anthem de Cohen, une  faille dans la bonne conscience de mes souvenirs, par laquelle est entrée un peu de  lumière sur moi-même. Il y a une faille en toute chose, c’est ainsi que la lumière pénètre.
Notre voyage au Maroc fut marqué par une autre expérience, cette fois entre mon frère et moi-même. Peut-être à cause de l’âge, nous avons accepté de reconnaitre les petits torts que nous avions l’un envers l’autre, et nous en avons bien ri. Nous avons ri au souvenir de certaines punitions qui n’étaient pas tombées sur le vrai coupable, et à comment nous manipulions pour cela  nos parents. Nous avons ri au souvenir des vantardises d’un aîné auxquelles le cadet avait cru dur comme fer…
Mais aussi et surtout, nous avons parlé d’un autre sujet, nous avons ouvert une autre faille dans l’âge d’or de notre adolescence. Quand nous parlions, pour nous, il y avait deux frères, extrêmement unis dans nos idées, nos projets, nos escapades, nos bêtises, nos goûts en général. Mais en réalité, nous étions trois. Le troisième frère était le plus jeune. Lorsque nous étions enfants, il est arrivé  trop tard pour participer à nos jeux et à nos secrets. Et lorsque nous sommes devenus des adolescents, puis des adultes, nous l’avons ignoré, dans les deux sens du terme. Nous étions cyniques, rigolards, pleins de désirs et de passions. Lui a toujours été différent, plus candide, chaleureux et gentil que nous. Nous n’avons pas été des frères pour lui. Notre harmonie fraternelle a eu elle aussi son exclu.  Enfants et adolescents, nous ne l’avons pas exclu activement, violemment, mais par notre indifférence. Devenus adultes, c’était un rituel fraternel des deux aînés, lors des rares réunions de famille, de le taquiner publiquement. Il n’avait pas pu venir au Maroc, et je puis dire que pour la première fois, il m’a manqué, il nous a manqué. Notre réunion au Maroc, aussi chaleureuse et joyeuse fut-elle, avait une faille, et nous avons pu en parler. Par cette faille un peu de lumière est passée, qui a éclairé un visage dont nous nous étions détournés, trop absorbés par nous-mêmes. La prochaine fois, il faut qu’il soit du voyage et nous aurons beaucoup de choses à nous dire…Inch Allah !
De quoi avons-nous parlé ?
Pour finir, je suis un prêtre orthodoxe, et pourtant je ne vous ai pas parlé de la façon à laquelle on s’attend en général, avec ce type d’intervenant. Je n’ai pas parlé le langage de la  théologie, même pas parlé de Dieu, et je n’ai pas saupoudré mes phrases de termes grecs ou slavons. J’aurais pu le faire, cinq années d’études en théologie, ca laisse des séquelles. Non que la théologie et une bonne terminologie ne soient pas importantes, elles le sont, bien sûr, dans leur contexte propre. Mais si je m’étais présenté a vous de la façon traditionnelle, j’aurais projeté une image classique, celle d’une harmonie  sacrée, celle des concepts et des termes, celle de la beauté paisible de nos liturgies. Or, en faisant cela, j’aurais maintenu une distance entre vous et moi. J’aurais préservé ma zone de confort, comme on dit en anglais, et ce faisant, j’aurais entretenu la différence et donc des divisions, celles de nos églises et de leurs histoires. Celle de leurs exclusions mutuelles. Au fonds, J’aurais parlé depuis l’harmonie du sacré, toujours un peu sacrificielle, car basée sur une exclusion. Et, de toute évidence, j’aurais montré n’avoir rien compris au message d’Anthem. Chaque cœur viendra, mais comme un réfugié. Si nous nous intéressons les uns aux autres, chrétiens d’églises diverses, c’est précisément parce que nous regardons la faille, et qui est dans la faille, l’autre qui est exclu. Et en nous regardant les uns les autres, à travers toutes les failles de l’histoire, nous voyons Celui qui est exclu chaque fois que nous excluons, et nous pouvons le nommer, Jésus le crucifié, et Jésus le ressuscité: dans la faille du tombeau a jailli la lumière.
J’aimerai avoir quelque chose à vous dire sur comment réunir nos églises, quelques bons conseils pratiques, mais je n’en ai pas d’autre que celui-ci: regarder dans nos failles, personnelles et collectives, et ceux qui en souffrent, et, d’une certaine manière, je ne sais pas exactement comment, la lumière se fera. Je suis aussi prêt à gager que l’unité ne ressemblera pas à celle que nous attendons. Les cœurs aimant viendront, comme des réfugiés. Ce ne sera pas un jour de gloire selon les critères humains.
Plutôt que l’emphase, l’apophase
Lorsque j’étais au Maroc, j’ai fait une autre expérience sur laquelle je vous laisserai. Il y avait quelque chose d’étrange dans tous ces villages loin des sentiers battus que nous avons traversés. Une absence. Pas de clocher. Pas d’église. Seulement, et pas toujours, un minaret. Je me suis senti en terre très étrangère. En même temps, par la rencontre avec les personnes, nos guides et les hôtes des divers camps ou nous passions la nuit, ce fut, un petit peu,  la découverte d’un Islam loin de ses caricatures fondamentalistes violentes, un Islam ancré dans les gestes simples de  la vie quotidienne, comme se saluer et conclure tout projet, toute référence au futur, par « si Dieu le veut», Inch Allah. J’y étais  à l’aise, et en même temps, très conscient de l’impossibilité de communiquer cela avec mes hôtes sans tomber immédiatement dans les pièges de ce genre de dialogue, qui évolue toujours entre, d’un coté, ‘on a tous le même dieu’, et, à l’autre extrême : ‘attention, ce n’est pas la même chose’… J’ai pensé alors à Charles de Foucault, et à une phrase d’Olivier Clément, qui l’un et l’autre expriment, l’un par sa vie, l’autre par sa pensée, que la rencontre avec une autre religion est vouée à l’échec, au niveau des concepts et des accords de principe, si elle n'est pas d’abord, pour nous chrétiens, la prise de conscience que « le christianisme n’est pas une religion en série avec les autres , c’est la profondeur de la vie.» Il y a une façon d’approcher Dieu dans la profondeur de la vie, qui est parallèle à celle du dogme et de la théologie, qui les complète ou plutôt en fait éclater les limites. Les théologiens, bien sûr, n’ont pas pu s’empêcher de lui donner un nom, c'est la voie apophatique, ou encore la théologie « négative ». Je vous laisse sur l’une de ses plus hautes expressions, la prière d’un de nos pères dans la foi, qui est comme un rayon de lumière dans la faille de toutes nos différences, quelles qu’elles soient, et d'une nudité conceptuelle qui rappelle les dunes du Sahara :
Ô Toi l’au-delà de tout,
Comment t’appeler d’un autre nom ?
Quelle hymne peut te chanter ?
aucun mot ne t’exprime.
Quel esprit te saisir ?
nulle intelligence ne te conçoit.
Seul, tu es ineffable ;
tout ce qui se dit est sorti de toi.
Seul, tu es inconnaissable ;
tout ce qui se pense est sorti de toi.
Tous les êtres te célèbrent,
ceux qui te parlent et ceux qui sont muets.
Tous les êtres te rendent hommage,
ceux qui pensent
comme ceux qui ne pensent pas.
L’universel désir, le gémissement de tous
aspire vers toi.
Tout ce qui existe te prie
et vers toi tout être qui sait lire ton univers
fait monter un hymne de silence.
Tout ce qui demeure, demeure en toi seul.
Le mouvement de l’univers déferle en toi.
De tous les êtres tu es la fin,
tu es unique.
Tu es chacun et tu n’es aucun.
Tu n’es pas un être seul, tu n’es pas l’ensemble :
Tu as tous les noms,
comment t’appellerais-je ?
Toi, le seul qu’on ne peut nommer ;
quel esprit céleste pourra pénétrer les nuées
qui voilent le ciel lui-même ?
Aie pitié, ô Toi, l’au-delà de tout ;
comment t’appeler d’un autre nom ?

Grégoire de Naziance[iv]



[i] Cohen, Leonard, Anthem, in The Future, Sony Music Entertainment, 1992
[ii] Girard, Rene, Des Choses cachees depuis la foundation du monde, Grasset, 1978.
[iii] Allwright, Graeme, Johnny, in Joue, joue, joue, Mercury, 1966.
[iv] In Sources, les mystiques chretiens des origines. Olivier Clement. Desclee de Brouwer, 2008. P. 21


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